On vante aussi « la douceur de l'hiver et la luminosité de Biarritz qui ajoute à son oxygène électrisé ses actions photogéniques si puissantes pour faire affluer à l'épiderme et faire mieux circuler le sang en tout l'organisme » (guide Collins de 1923).
Stravinsky connaissait déjà le Pays Basque où il avait fait escale avec les Ballets Russes dans l'immédiat après-guerre. Maurice Ravel avait dû lui vanter cette région car ils avaient cohabité en Suisse en 1913, réalisant ensemble une partition de la Khovantchina de Moussorgsky, commande de Diaghilev ; tout comme l'extravagante Misia Sert ou encore Alexandre Benois, peintre russe et ami qui dessina et photographia Ravel sur la plage de Saint-Jean-de-Luz en 1914. Benois avait créé les décors de Pétrouchka.
Stravinsky partageait avec son ami Picasso (qui fit de lui plusieurs célèbres portraits) le soutien et certainement les aides financières d'une des grandes mécènes de cette époque, Eugenia Errazuriz, de nationalité chilienne mais d'origine basque, locataire puis propriétaire à Biarritz d'une petite villa, aujourd'hui disparue, la Mimoseraie, au premier étage de laquelle le peintre avait réalisé sept panneaux muraux à l'encre bleue. Pablo avait séjourné là en 1918, pour son voyage de noces avec une danseuse russe, Olga Kokhlova.
Eugenia Errazuriz fut la dédicataire de plusieurs oeuvres de Stravinsky. A Biarritz, le compositeur russe retrouvait donc un milieu familier et la meilleure société d'Europe, avide d'oublier le massacre de 14-18. Il était déjà immensément célèbre, et considéré par la jeune génération française comme le chef de file de la musique contemporaine (« Le coq et l'arlequin » de Jean Cocteau)
De 1921 à 1924, l'existence du musicien se partageait entre sa famille installée à Biarritz, et de longs voyages à travers l'Europe dans lesquels il était accompagné par sa maîtresse Véra de Bosset-Soudéikine, épouse d'un peintre et elle même artiste de talent.

Il avait un petit studio à Paris, prêté par la maison Pleyel.
Mais il ne composait qu'au Pays Basque. Il profita d'abord d'un séjour d'Arthur Rubinstein pour réaliser la transcription de Trois mouvements de Pétrouchka destinée expressément au pianiste polonais. Celui-ci habitait à l'Hôtel du Palais et fréquentait assidûment les casinos, mais travaillait quand même son piano régulièrement. Il raconte avoir participé activement à l'élaboration de l'oeuvre dans la maison de la Chambre d'Amour. La partition porte la mention « Anglet, 1921 ».
Dans la maison de Biarritz, Stravinsky écrivit la version définitive de Noces (solistes et choeur accompagnés par quatre pianos et percussions), les transcriptions pour orchestre des deux petites suites pour piano à quatre mains (écrites à l' origine pour ses enfants), l'opéra-bouffe Mavra qui fut sa dernière création en russe d'après Pouchkine, l'Octuor pour instruments à vent, pièce d'un rigoureux classicisme. Il commença aussi à produire des oeuvres qu'il se destinait pour des tournées en tant que pianiste. Les pianistes -compositeurs russes comme Rachmaninov étaient à la mode et cela pouvait rapporter davantage que la composition. Le Chalet des Rochers a donc résonné des pages un peu lassantes de Czerny, que Stravinsky travaillait pour devenir un virtuose de concert. Tous les matins, il composait, et personne ne devait troubler sa quiétude. Ainsi naquirent rue de la Frégate le Concerto pour piano et instruments à vent, puis la Sonate pour piano en 1924.
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