A Biarritz, il s'est soucié beaucoup du bien-être de sa grande famille. Il a confié les garçons à un précepteur catholique recommandé par l'épicière : l'abbé Touya. Dans le but de préserver le foyer, seule son épouse Catherine était au courant de sa liaison avec Véra. Catherine, de santé fragile, était sa cousine germaine. Elle était fort pieuse et fréquentait régulièrement l'église orthodoxe toute proche. En novembre 1922, Igor Stravinsky réussit à rapatrier sa mère. Il attendit deux mois à Berlin que les Bolchéviques l'autorisent à quitter la Russie et il l'amena à Biarritz.
Sur une idée de mademoiselle Chanel, il parvint à convaincre son beau-frère Grégoire Béliankine, longtemps à sa charge avec femme et enfants, d'ouvrir un restaurant : ce fut le Château Basque (Villa Belza) qui devint un prestigieux cabaret russe. La meilleure société les «noceurs impénitents», dit Rubinstein, qui savait de quoi il parlait - s'y rendait régulièrement, en particulier le dimanche soir après le bain au Port Vieux pour déguster les zakouskis et écouter de la musique tzigane plus ou moins authentique. Igor et sa femme Catherine sont cités parfois dans la liste des convives de ces soirées qui était publiée régulièrement par La Gazette de Biarritz.
Mais le climat ne les satisfaisait pas vraiment: « Ma femme et moi décidons de quitter Biarritz où la violence des tempêtes hivernales nous fatigue terriblement et nous décidons d'aller vivre à Nice » déclare Igor en 1924 dans une lettre à Ramuz. Le déménagement pour la Côte d'Azur a donc lieu fin septembre. La belle-fille du compositeur, épouse du fils aîné Théodore, raconte dans un livre récent que « l'on dut laisser le chien Bijou chez le gentil livreur au grand désespoir des quatre enfants : pendant plusieurs semaines, on le vit ensuite revenir devant la villa, attendre et repartir dans son nouveau foyer, jusqu'à ce que de nouveaux locataires emménagent ».
En dépit de cet « abandon », le charmant toutou aurait vécu très vieux et très heureux chez son nouveau maître biarrot. Denise Stravinsky raconte également que son mari avait été élève de Picasso et avait peint deux natures mortes au rez-de-chaussée de la Mimoseraie selon une commande de Eugenia Errazunz.
Stravinsky revint au moins une fois sur la Côte basque, pour diriger lors d'un concert consacré à ses oeuvres l'orchestre du Casino municipal, le 25 août 1932. Le séjour de Stravinsky à Biarritz a longtemps été ignoré et reste méconnu. Il présente pourtant un intérêt exceptionnel. C'est le moment où le compositeur s'approprie la culture française, dans le contexte étrange et brillant des années folles, mais aussi dans des conditions morales et familiales difficiles.